Mobilisation des infirmières libérales : l’appel à la reconnaissance

Depuis le début de l’année 2024, les infirmières libérales et les infirmiers libéraux en France sont en ébullition, exprimant leur mécontentement face à des conditions de travail de plus en plus difficiles et une rémunération figée depuis des années. TabSanté vous propose un état des lieux pour comprendre les principaux points de blocage et de colère qui alimentent cette mobilisation.

Revalorisation des actes médicaux

Les infirmières à domicile réclament une revalorisation de leurs actes médicaux, dont les tarifs n’ont pas été revus à la hausse depuis 2009. Oui oui, vous avez bien lu : depuis 15 ans, un IDEL facture l’acte médical au même prix. Cette stagnation tarifaire, malgré l’augmentation constante des coûts de la vie, impacte directement le pouvoir d’achat des infirmières libérales et rend certaines interventions financièrement peu viables.

Infirmière libérale : pénibilité du métier

Les infirmiers libéraux soulignent la pénibilité de leur métier, caractérisée par des journées de travail longues et souvent épuisantes. Entre les déplacements fréquents, les horaires décalés et la manipulation de patients parfois lourds, ils demandent à voir leur métier reconnu comme étant particulièrement exigeant.

Conditions de travail et charges administratives

Outre la pénibilité physique, les infirmières à domicile dénoncent la complexité croissante des tâches administratives qui leur incombent. La multiplication des démarches administratives nuit à leur disponibilité pour les soins et ajoute une pression supplémentaire à leur quotidien déjà chargé.

Indemnités kilométriques de l’infirmière à domicile

Les indemnités kilométriques (IK) accordées aux infirmières libérales pour leurs déplacements sont jugées insuffisantes, surtout à la lumière de l’augmentation des coûts liés au transport. Elles demandent une hausse significative de ces indemnités pour refléter plus justement les dépenses réelles engagées. Les IK n’ont rien à voir avec l’indemnité forfaitaire de déplacement (IFD). L’IFD s’applique pour les actes effectués au domicile du patient. Elle a été revalorisée en février dernier, elle est passée de 2,50 € à 2,75 € et est la même quelle que soit la distance parcourue.

Age de départ à la retraite

Les IDELS réclament également une réévaluation de l’âge de départ à la retraite. Ils demandent à pouvoir partir en retraite à 60 ou 62 ans à taux plein, tenant compte de la pénibilité de leur métier et de ses impacts sur leur santé à long terme.

Une mobilisation sans faille

Depuis le début de l’année les journées de mobilisation s’enchaînent avec des infirmières et des infirmiers de plus en plus nombreux. Cette mobilisation sans précédent trouve ses racines dans la déception suscitée par les « promesses » non tenues pendant la pandémie de Covid-19. Les espoirs des IDELS ont été douchés par le Ségur de la Santé, qui n’a pas accordé d’enveloppe spécifique à leur profession, malgré leur engagement sans faille pendant la crise sanitaire.

Les syndicats et autres institutions officielles sont aussi engagés aux côtés des IDELS.

      • Le Sniil ( Syndicat National des Infirmières et infirmiers libéraux)  souligne l’urgence de « redonner du sens au métier d’infirmier libéral et de rendre la profession plus attractive ». En effet, ces professionnels de santé demeurent parmi les rares à se rendre au domicile des patients, assurant ainsi un maillage essentiel du système de soins.
      • La FNI (Fédération Nationale des Infirmiers) demande « l’ouverture de négociations tarifaires avec l’Assurance maladie et se réserve le droit d’adopter des actions plus radicales si ses revendications ne sont pas prises en compte. »
      • Depuis fin janvier, le collectif des infirmiers libéraux en colère organise des mobilisations sporadiques à travers le pays, avec des barrages filtrants et des distributions de tracts. La dernière en date a eu lieu le 4 avril à Paris avec une manifestation qui a réuni plusieurs centaines d’infirmières sur le bitume parisien. Signe d’une détermination sans faille à faire entendre les revendications de cette profession indispensable à la santé de tous.

Focus sur le réseau Asalée, lui aussi en difficulté

Le réseau Asalée est un dispositif conçu pour améliorer la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques en favorisant la collaboration entre les médecins généralistes et les infirmières. Lancé en 2004 par le médecin généraliste Jean Gautier, l’Action de Santé Libérale En Équipe (Asalée) repose sur une approche collaborative entre le médecin, l’infirmière libérale et le patient. Les infirmières Asalée sont chargées de réaliser une partie des actes médicaux, dans le but d’optimiser le suivi des patients souffrant de maladies chroniques. Cependant, malgré son succès croissant, le réseau Asalée fait face à des problèmes récurrents qui ont suscité une vague de mécontentement parmi les infirmières. La principale source de frustration réside dans la nouvelle convention proposée par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM), principal financeur du dispositif. Cette convention, en vigueur depuis 2024, ne prend pas en compte l’évolution du nombre d’infirmières Asalée, qui est passé de 1 200 à plus de 2 000, dont 1 600 temps plein. De plus, les salaires des infirmières sont versés avec des retards récurrents, ce qui affecte leur stabilité financière. En outre, la CNAM a cessé de prendre en charge les loyers des locaux où exercent les infirmières Asalée, ce qui crée des difficultés supplémentaires pour ces professionnels de la santé. Cette situation a non seulement un impact sur le moral des infirmières, mais elle compromet également la qualité des soins dispensés aux patients. En effet, les tensions entre l’association Asalée et la CNAM risquent de perturber le fonctionnement du dispositif et de compromettre l’accès aux soins pour les patients bénéficiant de ce service. En attendant une résolution de ces conflits, infirmières et médecins restent solidaires et continuent de défendre le système de soins en libéral, comme en témoigne la pétition lancée par l’association Asalée pour la défense de leur mission.

Le modèle BUURTZOG à l’arrêt

Il en va de même pour le modèle BUURTZOG déposé sous forme d’article 51 dont le financement s’est arrêté en attente de l’étude des conclusions. Même si celles-ci sont positives dans le sens où à terme, ce type d’organisation entraîne des économies de Santé grâce à l’évitement d’hospitalisation entre autres, la CNAM devra investir dans des salaires à 53 €/heure au lieu de 22 €/heure en libéral (42 €/heure pour un plombier ou un électricien). Dans ce cadre, quel serait alors le rôle des mutuelles ?

Le regard de Giovanni Silverii, fondateur de TabSanté

À l’heure où des économies doivent être faites selon l’État (remise en cause de l’ALD… ), ce taux de rémunération de 53 €/heure pour tous les infirmiers à domicile va-t-il être mis en œuvre ? Personnellement, même si le Système Buurtzog serait une rémunération juste et que cette façon de travailler est bénéfique pour les patients chroniques et les soignants, je ne crois pas, hélas, que ce sera généralisé.

De plus, cela entraînerait à terme des changements comme :

        • La fin des logiciels de facturation tel qu’on les connaît et bienvenue aux vrais logiciels métiers, c’est-à-dire les logiciels de soins.
        • Les paradigmes au niveau de la CNAM et du GIE, puisqu’il n’y aura plus d’indus à rechercher, plus de lecteurs pour sécuriser les FSE.
        • Ce ne sera plus un soin, soit un acte à facturer (ou ½ ou 0), mais des soins englobés dans une rémunération.

Quels que soient les modes d’exercices, ASALÉE, BUURTZOG, centre de soins, SELARL, IPA, IDEL… Il faut revoir de toute manière la rémunération et les conditions de travail des infirmier(e)s à domicile (et plus globalement des infirmier(e)s ) et ce pour le bien de tout le monde : soignants et patients.

Il faudrait que les infirmiers à domicile aient également la possibilité de faire des soins considérés actuellement hors nomenclature afin de mieux suivre leurs patients, de soigner autrement : ECG et télé expertise, fonds d’œil, laser pour cicatrisation des plaies… Cela permettrait d’avoir des revenus divers avec des actes plus intéressants et utiliser enfin notre possibilité de faire de la télé expertise. Il va falloir soigner différemment et arrêter de courir après le gain pour pouvoir s’en sortir financièrement. Nous ne sommes plus des religieuses ayant fait vœu de pauvreté, nous voulons prendre soin dignement pour nous également.

Je conclurai par ces questions :

  • Notre système actuel NGAP est-il trop profondément ancré pour donner la possibilité à un autre système de voir le jour ?
  • Devrons-nous continuer à courir pour pouvoir vivre, continuer à être sous pression ? Combien de temps encore ?